les sobriquets de nos aïeux au XVIIIe siècle (fin)
Succulents,
savoureux, fleuris ou simples traits ;
les
sobriquets de nos aïeux au XVIIIe siècle (fin)
Édit
de Villers-Cotterêts (1539), pour la première fois en
France, une importante ordonnance royale, celle de
Villers-Cotterêts (1539), traitait de la langue. C'est dans
son château de Villers-Cotterêts (à 75 km au
nord de Paris, à l'ouest de Reims) que François Ier
(1494 - 1547) signa l'édit de 192 articles, qui imposait le
français comme langue administrative au lieu du latin. Le
même édit obligeait également les curés
de chaque paroisse à tenir un registre des naissances : ce
fut le début de l'état civil.
|
Les
contes de notre enfance n'ont pas échappé aux surnoms.
« Cendrillon », « Blanche-Neige », «
Petit-Poucet », « Poil-de-carotte », sans oublier
les sept nains, « Dormeur », « Grincheux », «
Timide », « Simplet », « Atchoum », «
Joyeux », « Prof ».
Le
sobriquet nous colle à la peau pendant un long moment dans
notre existence et parfois toute une vie. Qui les attribuent ? Les
autres ! Nos parents, frères, sœurs, la famille, ou
encore les amis. Et souvent nous portons le sobriquet fièrement
comme un œillet à notre boutonnière. Les
sobriquets illustrés ici sont de notre région et c'est
donc naturellement vers le dictionnaire provençal que nous
nous sommes tournés en premier lieu pour leur signification.
Dans un précédent numéro nous avons vu les
difficultés à reconnaître exactement l'origine et
le sens d'un sobriquet, et si à cela on ajoute les erreurs
d'écriture dues à la prononciation et à
l'interprétation, on arrive parfois à ce type de
résultat (le sobriquet est mis en italique) :
- 1762, MICHEL Jean, dit Dyrtis.
- 1724, MICHEL Jean Gaspard, travailleur, dit d'Hurtis (CC219-65).
En
fait il s'agit d'habitants originaires du village d'Urtis dans le
canton de Turriers, près de Piégut.
Le
bal qui défoule et nous dévoile, a peut-être mis
en scène ces sobriquets :
-
1760,FIGUIERE Jean, dit danse bien [CAP]
-
1791,RICHAUD Joseph, travailleur, dit fringayrd? (1), (IG6-186).
bien
que ce dernier ait plusieurs sens possibles, il s'est sans doute
révélé au public lors de bals.
Et
la danse donne soif, par exemple :
-
1762, CHASTEL Jean, Travailleur, dit prêt à boire [CAP]
mais,
ce sobriquet n'a certainement pas attendu un bal pour se faire
attribuer ! On retrouve ce sobriquet dans de nombreuses régions
et certains l’attribuent à ceux qui avaient été
engagés dans les armées où l’on y buvait
aisément !
Le
sens d'un sobriquet peut varier d'une région à l'autre,
par exemple :
-
1762, ROCHE François, travailleur, dit fege [CAP]
-
1762, ROCHE Joseph, dit Lou Fege [CAP]
Fege
nous dit Mistral, se dit d'un homme courageux en Dauphiné, et
se dit d'un ennuyeux, d'un importun en Provence. Et Mistral nous dit
encore que les Bas-Alpins mettent Lou devant les noms d'homme et de
femme (Lou Jan).
Peu
de femmes à part les exemples suivants:
-
1762, ROUX Anne, dit Garelle (2) (CC238-216). L'orthographe est bien
un R et non un Z.
-
1791, GOIRAND Cuprosine, veuve Augier Jean, dite marinée
(IG4-146).
Voici
un sobriquet peut-être un peu plus difficile à porter
car les dictionnaires de l'époque nous disent qu'il s'agit de
marchandises imbues ou souillées par l'eau de mer. Mistral
nous dit aussi : qui a le goût ou l'odeur de la mer. Peut-être
était-ce la veuve du poissonnier ? Et pour terminer le tour
des sobriquets féminins,
-
1791, veuve ROUX, dite pitarelle (IG4-31), à rapprocher de
celui-ci :
-
1724, FABRE Charles, travailleur, dit pitaire (CC218-164).
PITAIRE,
PITARELLO, PITAIRO, qui signifie, personne naïve qui se laisse
mystifier, nous dit Mistral.
Si
les sobriquets masculins donnent une caractéristique amicale
et même presque vertueuse, en revanche les sobriquets féminins
semblent plus péjoratifs. Continuons notre tour.
S'il
est un sobriquet passé dans le français courant, c'est
bien celui-ci , avec une légère transformation bien
connue des élèves médecins :
-
1791, IMBERT Louis, fils, travailleur, dit escarabin (3), (IG4-136).
Le
pays d'origine a sa place comme par exemple :
-
1724, MALDONNAT Jean Claude, dit spagnolet (5) (CC218-217).
Et
ce n'est pas toujours vrai, par exemple (4) :
-
1724, AMAYON Jean Antoine, travailleur, dit germanot (CC218-313).
-
1724, AMAYON Philippe, travailleur, dit germanot (CC218-411).
Ce
nom français, qui correspond au provençal german,
girman, peut avoir deux significations. Soit il s'agit du nom de
baptême Germanus (indiquant au départ une origine
ethnique), soit du nom commun germanus (= frère). Il s'agit
plus vraisemblablement de frères ou cousins germains, car le
nom AMAYON viendrait de AMAYEN dérivé lui-même de
MAYENC qui signifie dans l'Isère, pâturage où les
troupeaux arrivent en mai.
Nous
avons trouvé une même personne avec un sobriquet aux
orthographes bien différentes :
-
1762, CLAMENT Jean Jacques, travailleur, dit Manganeou, et dit
Mangauch? [CAP].
Explication
possible :
MANGANÉU,
MANGANÉL, (rom. manganel, manguanel, mangoneth, manginal, it.
manganeilo, v. fr. mangan, s. m. Mangonneau, ancienne machine de
guerre, machine de jet, v.cato ; Manganel, nom de fam. provençal.
Autre
explication : MAN GAUCHO qui signifie, main gauche. On pourrait
supposer que notre homme était gaucher.
La
culture n’est pas absente des sobriquets. Celui-ci par exemple
:
-
1724, BRUNET Jean Francois, dit Rondibilis (CC219-424).
RONDIBILIS
est un personnage de PANURGE de Rabelais. « Panurge a
complètement oublié sa femme, mais il est perplexe :
doit-il épouser dame Ribaude ou pas ? Pour répondre à
cette question, il consulte des sommités : Raminagrobis,
Brid'oye, Rondibilis et Trouillogan. » Ce nom de Rondibilis,
Rabelais a probablement latinisé le nom de son maître
Rondelet rencontré lors d'une dissection à Montpellier.
On peut supposer que notre Jean François BRUNET était «
rondouillard ».
Et
puisqu'il faut finir, nous gardons celui qui réunit tout le
monde autour d'un verre :
-
1760, CHASTILLON François, travailleur, dit Trinquet. Facile
évidemment il s'agit de « trinquer » venant de
TRINQUETO, mais qui veut dire aussi, petite pioche. Nous avons du mal
à croire qu'il s'agit du plus haut bordage extérieur
d'une galère ou d'un bateau de pêche, ou du mât de
misaine qui se dit « trenquet, trinquet ».
Voici
la fin de la liste commencée dans un précédent
numéro. Le point d’interrogation marque un doute sur
l’orthographe.
d'Hurtis,
Danse bien, de Gaures, Domnin, Dragon, Dyrtis, Escarabin,
Estenellon?, Estevilloy?, Fauvachon, Fege, Fougassier, Fringayrd?,
Fringaire, Gaboreti, Gafareau, Ganache, Garelle, Garreau, Gaudoy,
Germanot, Grand pas, Gras, Guines?, Guires, Guives, Jaco, Jarry,
Jausseron, Jean de Bouillon, Jepe, Joli, Joly, Jusquin?, L'américain,
l'Hoste cru, La Branche, La Forme, la Gauille?, la Gratade, la Lebre,
la Marche, la Noi, la Vigne, Laguille, Lallemand, Laniere, Lanterne,
Laquille, Laurier?, Lauzon, Lebrau?, Lion, Lou fege, Lyon, Maillard,
Malagrin, Manganeou, Manigot, Manteau, Manteu, Maquignon, Margot,
Marinée, Mary, Maty, May, Mazan, Messe, Mian, Mican, Migale,
Mignon, Millitoy, Mondron, Monfort, Mouleton, Musy, Norisson, Pageau,
Panasson, Paquequo, Patero, Patero, Pecouillet, Peisson, Perdrix,
Petro, Picon, Piegut, Pierrot, Pintus, Pitaire?, Pitarelle, Pitarre,
Planpetis, Poche, Poste de l'homme, Potier, Prêt-à-boire,
Provansal, Provençal, Puissant, Quotidian, Reduch, Reinardon,
Reinaud, Remede, Rondibilis, Rouman, Santesson?, Spagnolet, St
Eusèbe, St Pierre, Tapillon, Tardon, Tartufe, Tibou, Tintou,
Tire long, Tolle, Tousseron, Toutolere?, Tranchon, Trayolle,
Treverson?, Trinquet?, Trinquet père, Tronchon, Turane,
Valavoire, Vergier, Vidau.
Les
notes entre [ ] derrière les patronymes sont les références
dans les archives de Sisteron, derrière les définitions
sont les sources.
Abbrev. :
[L.T.] Lou Tresor d'óu Felibrige ou Dictionnaire Provençal-Français embrassant les divers dialectes de la langue d'oc moderne, Frédéric Mistral, 1878. [Lor] Dictionnaire d'argot, Les Excentricités du langage de Lorédan Larchey, publié à Paris en 1860. (1) Fringayrd?, fringaire, viendrait du grec « qui hennit » et du vieux français frisque « fringant » dans le sens languedocien « d'amoureux » : Fernand Benoit a fait remarquer qu'au Languedoc, fringaire a le sens de « galant ». En Provence fringa veut dire « danser, sauter ». [L.T.] (2) GARELLE : GARELLO, s. f. La Garelle, ruisseau qui passe à Aspiran (Hérault). GARELOUN, GARELOU (lim.), GARELET (l), OUNO, ETO, adj. et a. Petit boiteux, petite boiteuse, v. ranquet; Garrelon, nom de fam. gasc. R. garèu. [L.T.] (3) Un carabin est un étudiant en médecine. Pour ce qui est de l'origine, si certains étudiants nous disent que « c'est parce que les étudiants en médecine font autant de dégâts que les carabiniers », le Petit Robert trouve les origines du terme dans le midi : escarabin, de la même famille d'escarbot, insecte nécrophore (qui enterre les cadavres des rongeurs sur lesquels il pond ses œufs (jargon étudiant). Fam. et vieilli : Étudiant en médecine. (Petit Robert) (4) GERMANO (it. Germano, Germain), n. p., Germano, Germane, Germanes, noms de fam. provençaux. [L.T.] (5) L'un des nombreux noms servant à désigner celui qui vient d'Espagne. Celui-ci est breton et se rencontre dans le Finistère. Formes italiennes ou corses : Spagnolo, Spagnoli, Spagnuolo, Spagnuoli, Spagnulo (cette dernière forme étant caractéristique des Pouilles). [source : http://www.jtosti.com] Mais attention un nom peut en cacher un autre car il s'agit également d'un haricot cultivé en Italie du côté de Val Belluna. [L.T.] |
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Merci pour votre commentaire. Il sera soumis au modérateur avant sa publication. Soyez patient !
L'administrateur.