Les sobriquets de nos aïeux
Je n'ai pas résisté à l'envie de publier à nouveau cet article de la revue "Le Sisteronais" (47) dont voici la première partie.
Succulents, savoureux, fleuris ou
simples traits, les sobriquets de nos aïeux
Alexandre le Grand, Charlemagne
(Carolus Magnus = Charles le Grand), Louis le Pieux, Jacques sans
Terre, etc…, tous ces illustres personnages sont connus par
leur prénom et un surnom accolé.
Et chez nous au XVIIIe siècle ? |
Ce surnom ou sobriquet, petit nom ou
encore diminutif, est parfois employé aussi pour désigner une ville
comme « Big Apple » (grosse pomme) pour New York. Ainsi du prénom
et du surnom sont souvent sortis les patronymes que nous portons
aujourd'hui. Chaque région a donc ses patronymes, souvent dans sa
langue ou son dialecte et même dans son patois. Lors du premier
recensement chaque chef de famille se vit attribuer un patronyme
souvent associé au lieu-dit de sa demeure, ou encore son métier et
parfois par son surnom, plus rare, car le surnom même gentil n'en
désigne pas moins une caractéristique presque caricaturale d'un
personnage comme nous l'avons vu pour les illustres personnages. Les
recensements se firent principalement aux XIVe et XVe siècles. Chez
nous, à Sisteron, quels étaient les sobriquets usuels au XVIIIe
siècle ? Nos sources d'informations sont les archives municipales de
Sisteron. Le repère est simple ; après le nom apparaît la locution
" dit " suivie du sobriquet. Nous n'avons pas parcouru tout
le XVIIIe car cela prendrait un temps considérable, mais la
transmission des surnoms est presque donnée en héritage familial.
Dans les registres, il ne fallait pas se tromper de personne, et dès
lors, les homonymes, pas toujours de même lignée, étaient désignés
en troisième lieu par leur sobriquet .« Soubriquet » est un mot du
XIVe siècle qui signifie « coup sous le menton » et surnom (sur-
et -nom) lui apparaît au XIIIe siècle. Sobriquet est un surnom
plaisant, parfois moqueur, et dans notre cas il est majoritairement
attribué à des travailleurs puisque sans métier défini par une
corporation; on dirait aujourd'hui « main d'œuvre non qualifiée ».
La compilation de ces sobriquets n'est venue qu'à la suite d'une
étude sur le cadastre mais il nous est apparu amusant d'y faire
référence dans notre revue. Les sobriquets sont en italique.
Nous avons dû faire attention à
l'écriture pas toujours lisible pour nous, à la
retranscription phonétique du transcripteur et à
l'accent du surnommé lors des inscriptions. Cela donne cet
exemple avec lequel nous n'avons qu'une réponse approximative
(1) : ( Les notes entre [ ] derrière les
patronymes sont les références dans les archives de
Sisteron, derrière les définitions sont les sources. )
- 1724, MARXE? Antoine, Chaoioly,
Travailleur [CC219-49]
- 1762, HEYRIES Joseph, Sans, dit
Chaillory [CAP]
- 1762, Joseph HEIRIES CHALORI,
travailleur [CC237-306]
Dans ces deux derniers, il s'agit de la
même personne mais le sobriquet est directement associé
au patronyme dans le dernier.
Aussi quand le sobriquet cache le nom,
par exemple :
- 1762, MASSE Francois, Chicou.
- 1791, MASSE Jean Louis, CHIQUOU, dit
Jean Louis Masse, demeurant à la Grande Bastide de Bevons
Nous avons apporté des
définitions trouvées dans différentes sources
mais nous n'avons pas attribué UNE définition
particulière à un sobriquet car cela relève du
quotidien du XVIIIe siècle et aussi que le chemin qui mène
du sobriquet à son attribution à une personne est
souvent un cheminement complexe parfois sans rapport avec une
définition, bien que nous nous soyons laissés aller à
certains moments !
Un sobriquet peut survoler plusieurs
décennies, par exemple :
- 1724, IMBERT Jean, travailleur, dit
Barbau(2) [Cadastre CC219-255]
- 1762, CURNIER François,
travailleur dit Barbou [Capitation]
- 1791, RICHIEU Jacques, droguiste, dit
Barbau [Cadastre IG6-175]
Le sobriquet reflète parfois la
région d'origine ou peut-être le nom d'un régiment,
par exemple :
- 1762, BEINET Louis Sieur, Marchand,
dit Champagne [Capitation].
Le sobriquet peut-être une
accolade du prénom et d'une caractéristique «
lointaine », par exemple :
- 1762, PETIT Pierre, Soldat invalide,
dit St Pierre [IG4-407],
Il y a aussi des sobriquets plus
difficiles à interpréter comme par exemple :
- 1791, CLEMENS Jean, travailleur, dit
Poste de l'homme [Cadastre]
- 1724, RICHAUD Joseph, travailleur,
dit l'Hoste cru [CC218-183] (peut-être l'origine de lustucru ;
pas les pâtes évidemment !!)
Le village d'origine donne également
une source aux sobriquets comme par exemple :
- 1762, JAUME Jean Michel, travailleur,
dit Piegut [CAP], Piegut étant un village près de
Tallard.
Parfois tous les habitants d'un village
porte un sobriquet, par exemple ceux de Mane porte celui-ci :
- 1791, LIOTAUD Jean Pierre,
travailleur, dit Archicas (Pierre), demeurant à Marseille
[IG4-78]
Mais ne nous trompons pas sur les
sobriquets, ne faisons pas de référence trop hâtive,
comme par exemple :
- 1724, ESCLANGON Claude, travailleur,
dit Picon [CC219-362]
Le Picon ne fut inventé qu'au
milieu du XIXe siècle par un certain Picon en Algérie.
D'autre part, la finale -ON s'écrit souvent -OUN en provençal.
Nous pouvons dès lors proposer cette interprétation de
ce sobriquet (3).
Le jeu de boules ou le jeu provençal
donnait lieu aussi à des sobriquets, ou du moins c'est le sens
que nous lui avons donné !!, et cela semble aussi une
caractéristique familiale, par exemple :
- 1762, GIRAUD Claude, Travailleur, dit
Tire long [Capitation]
- 1762, GIRAUD Melchior, Travailleur,
dit Tire long [Capitation]
A moins qu’il ne s’agisse
de tireur à l’arc !
Mais ici on peut y voir également
une extension du patronyme puisqu'il s'agit de deux hommes de la même
famille.
Les éléments ou peut-être
la mythologie donnent lieu à des sobriquets, comme par exemple
:
- 1762, ROCHE Charles, Travailleur, dit
Aquillon [CAP]
Aquilon, signifie vent du nord, autre
nom du mistral. « Jetez les yeux vers l'aquilon, l'orient, le
midi et l'occident… », (Dictionnaire philosophique,
ABRAHAM, Section I., Voltaire)
L'armée a servi de prête-nom
aux sobriquets et le plus célèbre, du moins nous
écartons l'élément mythologique et furieux du
sens de ce mot, est par exemple :
- 1762, CASTAGNIER François,
Dragon, Travailleur
- 1724, FOURNIER Jean, tanneur, dit
Dragon [CC218- 379]
Au XVIIe siècle, La bête
ne fut que simplement blessée et malgré sa blessure,
elle réussit à échapper à une battue
rassemblant un régiment de dragons à cheval et des
centaines de paysans armés effectuant le bouclage de la
région. (la bête du Gévaudan).
Voici une première liste de
sobriquets répertoriés dans les archives de Sisteron du
XVIIIe siècle (le sobriquet suivi d'un point d'interrogation
signifie que nous ne sommes pas certain de l'orthographe relevée)
:
Ainé, Annaris ou Petachon,
Aquilon, Archicas, Argentier, Arnaud, Auban, Auseau pauvre?,
Bachasson, Barbau, barbou, Bargueles, Barguere?, barguoy?,
Baugnelles, Bauguere?, belot, Beu Laygo, bourane?, Bourcelonne,
Bourgignon, Bouton, Boutounier, Branleur, Brigadeau, Broundeau?,
Brunevaille, Bullurle?, Buonsier?, Cacaillon?, Calisson, Cardouille,
Carisson, Cassard, Cavillon, Cesealle?, Chaillons, Chaillory,
Chamloubin, Champagne, Champin, Champoin?, Chaoioly, Chapaty,
Charonier, Chauret, Cheron, Chicou, Chicoures, Chilouret, Chiquou,
Clairon, Claudy?, Cogne, Corpotal?, Cremelier…
Nous vous en dirons plus une prochaine
fois…
Abbrev. :
[L.T.] Lou Tresor d'óu
Felibrige ou Dictionnaire Provençal-Français
embrassant les divers dialectes de la langue d'oc moderne,
Frédéric Mistral, 1878.
[Lor] Dictionnaire
d'argot, Les Excentricités du langage de Lorédan
Larchey, publié à Paris en 1860.
(1) CHAROL, s. m.
Pitpit des buissons, spioncelle, spipolette, espèce
d'alouette dans le Tarn, v. créu. [L.T.]
CHAROLS, (bas lat.
Charolis, Carrovallis, Carrovolum), n. de l. Charols (Drôme).
[L.T.]
(2) BARBEAU : Sans
doute le surnom d'un porteur de barbiche (ancien français
barbel, diminutif de barbe). Le patronyme est fréquent dans
l'Ouest (85, 79, 49). Variantes : Barbault, Barbeaud, Barbeault.
On trouve dans d'autres régions les formes Barbau, Barbaut,
Barbaux (59, 62) et Barbeaux (39, 88). [source :
http://www.jtosti.com]
BARBO (rom. niç.
barba, b. lat. barba, bar-banus. esp. barba, père-noble),
s. m. Titre de respect qu'on donne à un ancien du peuple, à
un oncle, dans les Alpes piémontaises et le comté de
Nice ; les Vaudois donnent ce nom à leurs pasteurs, v.
segne, mounsegne ; Barbe nom de fam. mérid. dont le dim.
fém. est Barbeto. [L.T.]
BARBEAU, BARBILLET,
BARBIQUET : proxénète. Les diminutifs ont une
connotation méprisante. [Lor]
(3) PICOUN, PICOU (l. d.), ESPICOU (rouerg.),
(cat, pigot, b, lat, picco, it. piccone), s. m. Petit pic,
piochon, outil de labour pour les terrains pierreux, v.
fueio-de-sàuvi ; battant de cloche, v. matai; clochette en
tôle, sonnaille de troupeau, v. sounaio ; t. de marchand de
bois ; pièce d'un bateau ; pieu, étai, v. pau; petit
pic do montagne, v. serre ; piquant, épine, clou, dette, à
Nice, v. clavèu ; turbulent, dissipé, étourdi,
v, cascavèu ; Picon, nom de fam. prov. ; liqueur inventée
par un industriel de ce nom. [L.T.] |
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