Illustres Inconnus : Pierre Louvet (1617-1684), un historien atypique

Dans un précédent numéro de la revue "Le Sisteronais", nous avons évoqué le nom de Pierre Louvet, l’auteur de « La Vie et Legende de saint Tyrse, patron de la Ville & Diocese de Sisteron. Et des Saints Marius & Donat, Patrons tutelaires de ce même Lieu ».
Pierre Louvet a suscité quelques articles de référence dans des dictionnaires, dans une biographie due au Comte de Marsy en 1897.
- « Ses matériaux sont si mal digérés et ses inexactitudes sont si fréquentes, qu’on ose à peine le citer », voilà en peu de mots comment les dictionnaires biographiques du XIXe siècle, dépeignent Pierre Louvet. (1)
- Voici ce qu'en écrit Ed. de Laplane : «La bibliothèque historique de France ne contient pas moins de vingt ouvrages sortis de la plume de Louvet. Parmi ce fatras, fruit de la plus déplorable fécondité, nous ne citerons que deux articles se rapportant plus spécialement à notre sujet, savoir : 1° Histoire de Sisteron, manuscrit in-fol., et 2° Vie et légende de Saint Tyrse» (op. déjà cité). (2)
- « …, Louvet semble être mort dans une situation modeste, comme le fut celle qu'occupa toute sa vie le régent du collège de Sisteron »(3)
Plus récemment Pierre Louvet a fait l’objet de la thèse de Loïc Ducasse pour le diplôme d’archiviste paléographe en 2011 dont nous tirons toutes nos informations. Loïc Ducasse propose sa thèse sur base de l'étude d'une carrière et d'une activité d'historien d’histoire locale au XVIIe siècle.
- « si nous nous intéressons à P. Louvet, c'est parce que nous pensons que l'étude de sa carrière offre des vues rares, sinon neuves, sur l'activité d'historien au XVIIe siècle. Sa carrière, en effet, est exceptionnelle par bien des aspects. Elle l'est tout d'abord au regard de son itinéraire, caractérisé par une forte mobilité géographique et un ancrage provincial quasi- exclusif.» (4)
Pierre LOUVET est né à Beauvais le 3 février 1617. En 1622 il est confié à une institution chargée de l’entretien et de l’éducation des orphelins de Beauvais. En 1634 il partit à Paris pour faire sa philosophie, puis il partit dans le sud pour faire des études de médecine.
En 1643, après un retour infructueux à Beauvais, il s’installa à Sisteron. Pourquoi s’installer à Sisteron ? Rien de véritablement attesté par lui si ce n’est une flatterie exagérée pour la ville comme justification. Est-ce parce que Sisteron est une ville « frontalière » entre Provence et Dauphiné (juste le pont de la Durance à traverser) ?
Il peine probablement à se faire une patientèle à Sisteron. Le 15 juin 1644, les consuls de la ville lui proposent de devenir régent des écoles. Un contrat est établi le 2 septembre 1644 que Pierre LOUVET accepte. Il y est stipulé en outre « estant plainemant certains et advises de la bonne vie, meurs, relligion catholique apostolique romaine, capacité et esperiance aux letres de Mr Pierre Louvet de Beauvais en Picardie, ont icelluy prouveu et bailhé, prouvoyent & bailhent par le present acte la regence du college et escolle de lad. ville de Sisteron ». Il sera assisté par trois enseignants pour les classes de deuxième, troisième et quatrième, et qu’il paiera de ses gages.
Le 28 décembre 1644  il se marie avec Marguerite Achard, jeune sisteronaise, fille de François Achard, marchand, et de Izabeau Aliaude (Ayaude), tous de Sisteron. Un contrat de mariage est établi par le notaire François Thomas le 23 avril 1645. Son premier fils, François, naît en octobre 1648. Il est à nouveau régent du collège en 1648 et ainsi pendant 3 années. Un contrat pour la régence de rhétorique et la classe de première pour le collège de Digne est conclu le 16 septembre 1652 entre Pierre Louvet, toujours domicilié à Sisteron, et les RR.PP. Jésuites, mais il sera de courte durée, probablement par incompatibilité d’humeur entre les Pères Jésuites et P. Louvet..
Ensuite Pierre Louvet va parcourir pendant près de 20 ans tout le sud du pays pour y écrire l’histoire du local ou faire des inventaires d’archives. Après quelques mois à Marseille, c’est en 1654 qu’il s’installe à Montpellier où il s’établit comme professeur d’histoire et de géographie. C’est aussi à ce moment qu’il entre dans la carrière d’historien. Son premier livre recensé est édité en 1655 à Nîmes. En 1658(?), dans un traité abrégé d’histoire, il est mention de P. Louvet Docteur en Médecine, édité à Bordeaux. Dans une Histoire Romaine en 1665, il est mentionné pour la première fois sur la page de titre, P. Louvet, Docteur médecin à Sisteron et Historiographe, édité à Lyon. A partir de son «Mercure Hollandois» de 1673, il sera seulement mentionné P. Louvet, D.M. Conseiller et Historiographe de S.A.R. Souveraine de Dombes, D.M. signifiant Docteur Médecin. Malgré son travail d’historien et d’archiviste dans différentes villes de France, sa présence à Sisteron est attestée en 1660, 1661, 1663. En 1661 il acquiert une maison rue droite d'une superficie de 88m2 sur 3 niveaux. Les finances de la famille Louvet sont maigres. En 1666 Marguerite Achard loue une partie de la maison rue Droite, dont le cabinet de travail de son mari Pierre Louvet, au Sieur Castagny pour une durée de 3 ans. Des terres et vignes sont également louées. En 1672 son épouse et ses enfants rentrent définitivement à Sisteron. Pierre Louvet continue à parcourir la France. Il revient s'installer à Sisteron en 1674 avec un titre d’ « Historiographe de S.A.R. souveraine de Dombes ». Pierre Louvet a parcouru la France, passant à Marseille, Aix, Toulouse, Montpellier, Villefranche, Paris, Lyon, pour y écrire l'histoire locale, ou bien classer des archives, ou bien encore comme professeur particulier.
Pour rappel, Pierre Louvet est un historien dans l’âme, un amoureux de l'Histoire, sans une formation comme tel, et est à ce titre remarquable pour son époque. Il cherche à vivre de sa passion pour l’Histoire. De son propre aveu en préface de son « Histoire Romaine … » de 1665, le manque de «malades» ne lui assurait pas de quoi vivre. Il était déjà «entouré» de 5 à 600 livres pour la plupart «Historiens» qui lui apportaient le divertissement. Il est un des rares sinon le seul de son époque à avoir été un historien « indépendant », sans appartenance à un quelconque ordre ou bénéficier de qui que ce soit. En 1675 il écrit à un ami, le révérend Pére Dom Luc d 'Achery, qu’il s’occupe des archives de Sisteron, mais rien ne l’atteste. Aucun contrat passé avec la ville ni aucun paiement ne viennent le confirmer. Le 15 avril 1676 il obtient une concession pour lui et sa famille dans la nouvelle église St-Eloy dans le couvent des Cordeliers, aujourd'hui détruit sauf un mur. L'O.N.F. est aujourd'hui installé sur le site. Le 28 août 1678 il remet 50 exemplaires de son livre « La vie et légende de Saint-Tyrse » au conseil de la ville de Sisteron.
Malgré ses nombreux livres sur l'histoire du local, il n'est pas riche et au printemps 1683 il est nommé régent de la seconde classe du collège en remplacement d’un certain Messire Raymond. Il est reconduit dans sa fonction en 1684. Notre illustre inconnu, malgré son titre de docteur en médecine qui lui donnait droit à se présenter à la nomination de premier consul de la ville, ne fut jamais choisi car il ne payait pas assez d’impôts !
Pierre Louvet décède en un lieu inconnu entre le 5 juillet et le 7 septembre 1684.
Il a passé l'essentiel de ses 10 dernières années à Sisteron. Il fut probablement le premier historien de Sisteron avec «  Histoire de Sisteron », ouvrage cité dans un livre de P. Le Long, « Bibliothèque Historique de la France ».
Cet éventuel manuscrit sur l’Histoire de Sisteron serait passé entre les mains de François Louvet, son fils aîné, prêtre et aumônier du Roi sur les galères. François légua sa bibliothèque à son neveu Joseph qui mourut en 1727. Le second fils de P. Louvet, Jean-Pierre, resta à Sisteron et s’y maria. Il tenait une librairie dans laquelle il devait probablement vendre les ouvrages de son père. Il obtint la charge de procureur du roi au siège de Sisteron. Il fit de nombreuses acquisitions de terres et vignes à Sisteron.
Pierre Louvet fut un inlassable voyageur pour son époque, que ce soit en quête de travail d’historien ou d’archiviste, soit en quête d’autorisation d’impression de ses livres et d’appui pour ceux-ci. Il nous laisse des manuscrits et des livres précieux, des « abrégés » et des Histoires locales. Parmi les plus connus, il y a « Abrégé de l'histoire de Provence » en deux tomes et sa suite « Histoire des troubles de Provence » en deux tomes. Il y a encore « Additions et illustrations sur les deux tomes de l'Histoire des Troubles de Provence ». 

 
Remerciements à Loïc Ducasse pour avoir permis de publier des extraits de son travail sur Pierre Louvet.
L’entièreté de la Thèse de Ducasse est accessible sur le site : http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00850670
Thèse de Loïc Ducasse

1)Biographie des hommes remarquables des Basses-Alpes, par une société de Gens de Lettres, Repos, Digne, 1850.
2)Ed. De Laplane, Histoire de Sisteron tirée de ses archives, Volume 2, p. 433
3)Comte de Marsy, Pierre Louvet, de Beauvais, médecin, historien et professeur (XVIIe siècle), D. Pere (Beauvais) , 1897, p. 6
4) Loïc Ducasse, Faire profession d’historien au xviie siècle. Étude de la carrière de Pierre Louvet (1617-1684), Thèse de l’École des Chartes 2011,

Archives du XVIIIe siècle de Sisteron

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