L’atelier temporaire de Sisteron (1591-1593), d’après Roger Vallentin, 1893


R. Vallentin pensait poséder une pièce de l'atelier de Sisteron. avec un différent en haut à droite, deux lys et une couronne.
Fin du XVIe siècle, la Provence connaît aussi les épisodes des guerres de religion qui ont empoisonné la France jusqu'à l'édit de Nantes signé en 1598 par Henri IV pour la liberté de culte. Outre la religion de chacun, l'économie joua un rôle dans ces conflits, entrecoupés de brèves périodes de paix. La guerre mettait à mal les finances et chaque camp frappait sa monnaie. La monnaie royale était frappée selon des règles strictes. Dans son Histoire de Sisteron, E. de Laplane note ces lignes en regard de la date de 1593 : « Au nombre des plaies qui affligeaient la Provence, il ne faut point oublier l'altération des monnaies ».
Elle atteignit une inflation de 400 % en Provence.
Revenons en arrière, en août 1591. Le seigneur de La Valette, duc d'Épernon, établit à Sisteron une « Monnaie » à la demande d’Henri IV. Il choisit pour maîtres Antoine Maurisy  et Thomas Cayre, originaires de Cavaillon. Lavalette, ancien mignon d'Henri III mort en 1589, s'est rallié en 1590 à Henri IV roi de France et de Navarre qui lutte contre la Ligue. Henri IV roi de Navarre est protestant, mais pour accéder au trône de France il se reconvertira au catholicisme en juillet 1593.
Lavalette demande de frapper la monnaie du même titre(*) et du même poids que celle sortant de l'atelier de Grenoble selon les ordonnances d'Henri III en 1577. La monnaie de Sisteron est sans différent(*), sans marque distincte, selon les numismates modernes.
La monnaie est un jeton frappé manuellement ou mécaniquement par balancier entre 2 coins gravés en creux. L'atelier de Sisteron devra tailler 80 pièces pour marc(*) et 2 pièces pour remèdes(*). Déjà un affaiblissement d'un tiers car l'ordonnance royale en cours exigeait une taille de 52 au marc. Lavalette chargea Guillaume de Cadenet de procéder à l'installation de l'atelier, mais les maîtres ne fournirent pas la caution exigée. En effet, les ateliers de monnaie étaient des entreprises « privées » menées par les maîtres. Des officiers sont nommés pour garantir le bon fonctionnement, et parmi eux le graveur et tailleur de la monnaie et un essayeur. A Sisteron ce fut Barthélémy Chabran comme graveur et Pierre Chabran, orphèvre, comme essayeur. Des gardes sont prévus pour la protection de l'atelier. Toutes ces personnes sont à charge des maîtres de l'atelier monétaire. Les premières pièces, des pinatelles « modernement fabriquées », seront confiées à l'essayeur « pour faire apparaître si elles sont du poids, aloi(*) et pied de fin porté par les édits et ordonnances de sa Majesté ». Les pièces frappées devaient être équivalentes à celle de Grenoble. Au contrôle, les grenobloises étaient de 3 deniers(*) 16 grains(*) de moyenne et les sisteronaises de 3 d. 13 gr. Guillaume de Cadenet fit part de son mécontentement mais les maîtres déclarèrent suivrent les instructions de Lavalette.  En vérifiant les pinatelles de Toulon et Tarascon, l'essayeur mis en évidence qu'elles étaient de 3 d. 5 gr., donc plus affaiblies que celles de Sisteron. Dès lors les maîtres se mirent à en faire autant. 18 personnes travaillaient pour l'atelier. Quelques uns démissionnèrent pour ne pas être impliqués dans l'affaiblissement de la monnaie. Un rappel à l'ordre de Guillaume de Cadenet s'imposa. Mais rien n'y fit. Les maîtres adoptèrent en 1592 le titre à 3 d. et la taille de 96 au marc. Lavalette mourut en février 1592. Les pièces grenobloises furent elles aussi affaiblies dans une moindre mesure. Tout cela déplut aux habitants qui voyaient diminuer la valeur de leur patrimoine et les prix des denrées s'envoler. L'atelier de Sisteron continua à frapper en grande quatité la monnaie affaiblie par les maîtres . En décembre 1592 pour éviter d'être poursuivis comme faux-monnayeurs la plupart du personnel quitta l'atelier. L'atelier aurait dû fermer mais le frère de Lavalette engagea de nouveaux ouvriers en janvier 1593. Le 21 janvier 1593 le gouvernement de Grenoble ordonna de cesser de frapper des pinatelles en Dauphiné. Comme l'atelier de Sisteron était une annexe de celui de Grenoble, il s'arrêta définitivement en février 1593. La circulation des pinatelles continua encore pendant 3 ou 4 mois. Ensuite toutes ces pièces furent récoltées, converties selon leur valeur dans une autre espèce, le douzain(*), et furent refondues. Un arrêt du 11 mars 1593 donne les directives à cet effet. Dans certaine ville la monnaie affaiblie fut récoltée aux enchères et converties dans une autre espèce. Le prix des denrées serait fixé par les marchands et consuls des villes, sinon le prix sera ramené à celui d'avant l'affaiblissement. Une équivalence est donnée pour chaque pièce de chaque atelier temporaire de Provence avec leurs caractéristiques pour les reconnaître (1).

  L'atelier temporaire de Sisteron (1591-1593), Roger Vallentin,
Dans un article sur le site «Inumis», deux pièces sont présentées et commentées comme provenant de l’atelier de Sisteron. L’une d’elles serait de 1594, sans différent, en désaccord avec les écrit de R. Valenttin (2).
Un site présente plusieurs types de pièces juqu’en 1596 (!), attribuées à Sisteron, notamment le douzain (3).
Un article de Jean Duplessy donne le détail du trésor de Fécamp trouvé en 1970. Il cite notamment un autre mâitre à Sisteron à partir de septembre 1593, Jehan Bressy (4).
Une liste des points secrets et marques signale des pièces attribuées à Sisteron jusqu’en 1595 (5).
Toutes les pièces de Sisteron sont rarissimes car difficilement attribuables à notre atelier.


 1) L'atelier temporaire de Sisteron (1591-1593), Roger Vallentin, extrait de l'annuaire de la Société de Numismatique, année 1893 ; Paris, 1893.
2) http://www.inumis.com/ressources/france/articles/sisteron/sisteron.html).
3) http://hauteprovencenumismatique.e-monsite.com/pages/content/royales/henri-iv-1589-1610.html
4) Duplessy Jean. Trésor de monnaies des XVe et XVIe siècles découvert à Fécamp. In: Revue numismatique, 6e série - Tome 19, année 1977 pp. 162-179.
5) http://www.hugon-numismatique.fr/liste_des_points_secrets_et_marques_d_ateliers_439.htm


(*)Lexique numismatique :
- Aloi : Proportion de métal précieux entrant dans la composition d'une pièce.
- Denier : fraction d'un douzième, pour exprimer le titre en argent.
- Différent  :  marque représentée par une lettre ou un symbole.
- Douzain : Pièce de monnaie valant douze deniers.
- Grain : Unité de poids ou de titre :  La plupart des systèmes employés en Europe ont eu pour base soit le grain de blé (0,05 g.), soit le grain d'orge (0,065 g.)
- Marc : Le marc est une ancienne unité de masse, valant huit onces (30,594 g) ou une demi-livre.
- Remède ou tolérance : Ecart admis au-dessus ou au-dessous du poids et du titre prescrits par les ordonnances ou les baux monétaires.
- Titre : Rapport entre le poids du métal fin employé dans l'alliage et le poids total de la monnaie.

Archives du XVIIIe siècle de Sisteron

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