Etienne Martin, une peinture lumineuse et élégante qui sublime Sisteron


 



Né en 1856, ce peintre provençal sera toute sa vie tourné vers le passé et les traditions. Alors que la ville prépare une grande exposition de ses oeuvres au printemps, retour sur un artiste qui a magnifié Sisteron avec des tableaux d’une élégance et d’une beauté rares.


1 – Introduction
« … Un dimanche il y a la kermesse des scouts ; le dimanche suivant c’est le cirque Rancy : un autre jour la fête à Marcoux ou à Gaubert ; puis les courses d’Oraison. En résumé il y a du monde partout … sauf au Musée. Et d’ailleurs sur qui puis-je compter ? ... » (extrait de la lettre écrite au maire de Digne le 20 septembre 1930). Etienne Martin est un passionné ! Il défend âprement le musée de Digne ouvert en 1889, créé par son père Paul avec son ami Louis Daime. Les Martin et le musée, une aventure familiale ! Il n’est donc pas tout à fait étonnant d’y trouver de nombreuses œuvres des Martin.
2 – Biographie
Etienne Martin naît le 27 juillet 1856 à Marseille. Son père, Paul, est aquarelliste et marchand d’art reconnu à Marseille et sa mère Marie Augustine une discrète épouse. Son père l’initie à l’art et Etienne entre en compétition artistique avec son père, à la recherche de la reconnaissance paternelle. Dans sa jeunesse il n‘y arrivera pas. L’art des Martin et en général l’art provençal est confronté à la fin du XIXe siècle aux nouvelles idées d’un Cézanne, d’un Van Gogh ou d'un Seurat. Au début du XXe siècle, le fauvisme d’un Derain, le cubisme d’un Braque, l’abstraction d’un Kandinsky, la dévalorisation du classicisme poussera Etienne Martin vers des diatribes contre ce « retour vers les âges primitifs ». Ils appellent ces artistes des charlatans. Etienne Martin véhicule l’idée d’un art idéal au plus proche de la vérité, au plus près d’une réalité idyllique, d’un civisme asservi, le respect aux anciens. Il sent que l’intérêt pour « l’élégance » a fondu devant la chaleur des couleurs de la modernité. La tradition du Félibrige devait le rassurer, mais là encore la poésie mue vers des Max Jacob, ou des Blaise Cendrar. Il est hantée par l’idée de décadence qu’il croit percevoir dans le progrès et dans le suffrage universel. Il vomi la Tour Eiffel et le pont transbordeur de Marseille. Il déprime ! Il s’en prend à tout ce qui ne lui ressemble pas : modernisme, métissage, jeunesse, féminisme, athéisme, tolérance, laïcité, tout ce qui fera le XXe siècle (à lire : Réflexion d’un artiste sur la science, Académie de Marseille, séance du 7 mars 1918). Il en appelle souvent au Seigneur ou à Dieu pour ses lamentations sur les « transformations sociétales ».
Il a une autre passion, la musique. Il fréquente Théodore Thurner, un ami de la famille qui lui dédiera des œuvres, comme « Sous les pins », Souvenir des Basses-Alpes : Fleur des Montagnes, Thorame-basse, Deux papillons ». Il joue au piano lors de « causeries » académiques à Marseille, comme à la séance du 15 mai 1913. En prélude à sa prestation, « … - je ne dirai pas un musicien – mais l’imitation, la caricature d’un musicien. En un mot, un misérable peintre qui, non content d’ignorer son métier, ose encore en aborder un autre ! ». Il interprétera « La sonate en ut dièze mineur » de Beethoven, « Fantaisie en ut mineur » de Mozart, « Première ballade en sol mineur » de Chopin, et « Caprice sur Alceste de Gluck » de Saint-Saens.
Etienne Martin a présenté ses œuvres à différents salons avec une presque égale unanimité sur son travail de composition et de qualité technique, un maître paysagiste. Pourtant « sa brosse manque par endroits de force et son ton de chaleur » (Servian, La Vie Provençale, août 1899).
Etienne Martin est le fils de son père, un homme du XIXe siècle, ancré dans le romantisme de la tradition. Une tradition née dans son enfance insouciante et chaleureuse, qui s'éteindra quand ses yeux se fermeront définitivement le 6 mars 1945 à Marseille.
3 – Oeuvres
Le Musée de Digne est l’oeuvre de sa vie, il sera le trou noir des finances d’Etienne Martin.
Pour s’attarder sur les œuvres d’Etienne Martin il faudrait prendre son bâton de pèlerin et parcourir ce Midi qu’il affectionnait. Retirons quelques éléments qui marquent ces œuvres, comme les diligences, l’extérieur naturel et l'âme des intérieurs. Ces œuvres sont teintées de cette nostalgie d’une esthétique académique et classique. Les couleurs sont délavées, ne voulant pas céder à la mode des modernes. Ses paysages avec ses routes qui sont parcourues par des diligences invitent le spectateur au voyage, à entrer dans son monde de la Provence et des Basses-Alpes en particulier. Il souhaite transmettre le bonheur de vivre dans cette région, jamais de souffrance en dehors de celle de la couleur écrasée et blanchie par le soleil. Les tableaux de paysages s'éclairent de teintes pâles, de couleurs écrasées par le soleil, par la lumière qui fait plisser les yeux pour ne retenir que les contrastes, ils louent la beauté rude de la Haute-Provence. Il connaît le destin de chacun, la disparition. Ses personnages nous tournent fréquemment le dos et s'éloignent en silence.
D’autres paysages sont « romantiques » dans leur couleur sombre du soir, entre chien et loup, la dernière avant que la nuit ne vous happe. Les ciels ne sont jamais uniformes par peur probablement d’un infini qui nous rendrait trop insignifiant. Pourtant il l’encense : « seule chose que la main de l’homme moderne n’ait pu atteindre », disait-il avant que l'aviation en prenne possession et qu'il dénoncera également.
Il nous réserve aussi des intérieurs sombres où seule la lumière du peintre éclaire ses inquiétudes, le passé et la tradition dans une église ou dans une écurie. Ses aquarelles d'intérieur de la villa familiale Saint-Martin dans les années 70 sont colorées et lumineuses comme le veut la technique employée. Ses peintures à l'huile des intérieurs trente ans plus tard sont des clairs-obscurs qui ne découlent pas de la technique mais de son état d'esprit, de sa quête nostalgique d'un bien-être à l'abri du temps et du monde extérieur qui va trop vite pour Etienne Martin. Dans les représentations d’intérieur, seule la lumière domestique ou filtrée accorde son attention au sujet noyé dans son écrin d’ombre.
4 – Analyse
Le tableau « La Durance à Sisteron » (vers 1899), trône dans la salle du conseil municipal de Sisteron. Il est scindé en deux verticalement par la Durance et par le jeu de l’ombre et de la lumière. C’est une fin d’après-midi de milieu d’automne, le vert des arbustes est sombre même au soleil. Bourg_Reynaud est à l'ombre, La Baume au soleil. Un pêcheur porte le canotier mais les autres personnages sont tête nue au soleil. A gauche seule la rive de la Durance est baignée de soleil pour se démarquer, et le peintre équilibre ces forces en projetant des ombres supplémentaires sur l’eau alors qu’elles s’arrêtent sur la rive. La Durance charrie sur ses ondes le reflet de quelques nuages. Tout le bas du tableau est dans une ombre incertaine, celle qui isole le sujet du spectateur, la balustrade qui nous rassure et qui nous invite à regarder au-delà. Les quatre personnages dans la lumière sont cernés par la ville et le fleuve, entre ombre et lumière. Ils seraient en quelque sorte le médaillon au cou de la ville. Ville ombre, statique, figée, muette comme une prison ! Lumière réfléchie dans le fleuve qui s’écoule comme le temps à l'opposée des maisons ! Moins de nuages sur La Baume que sur Sisteron. Et si nous investissons du regard l’une et l’autre rives de la Durance, nous revenons à ces personnages baignés de lumière. Dans nos esprits, des questions : qui sont-ils, sont-ils heureux d’être là ? Ils nous ramènent à nous. Chaque spectateur aura son interprétation du tableau. L’artiste, conscient ou inconscient de ces réflexions, a emporté ses sentiments dudit jour dans sa traversée du Styx.
D’autres vue de Sisteron sont à son chevalet : « Vues de Sisteron » depuis la place des aires, « La Durance à Sisteron » sur le Bourg-Reynaud depuis le pont de La Baume, « Vue de Sisteron » depuis la montée du Thor.
5 – Héritage
L’héritage pictural des Martin est comme le titre du catalogue de l’exposition à Digne de 2006 «  L’utopie d’une Provence éternelle ». Le Musée de Digne est l’autre héritage d’Etienne Martin. La poussière finira par couvrir son nom gravé sur les tablettes administratives et ne restera que ses « clichés à l’huile » aux couleurs blanchies par le soleil comme des témoignages du passé.
6 – Conclusion
Magnifier ces paysages peints, qui aujourd’hui disparaissent dans le modernisme de nos structures urbaines et de nos moyens de communication, engendre une nostalgie qui nous ferait presque oublier tous les trésors capturés par nos objectifs digitalisés et qui rendent compte de la qualité et de la beauté de nos horizons provençaux !

Archives du XVIIIe siècle de Sisteron

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